«Dites-moi que c'est un garçon, dites-moi que c'est un garçon!» C'était mot pour mot ce que mon père avait dit au docteur lorsque ma mère venait de me mettre au monde. Pour être franc, j'ai toujours eu de la peine à y croire, j'ai toujours vu mon père comme une personne calme et très discrète, que ce soit dans son travail ou dans sa vie de famille, j'avais toujours cru que c'était son comportement qui avait été la cause du divorce de mes parents, mais j'avais eu tort. Ça n'empêche pas que mon père attendait ma venue, ou du moins qu'il attendait que le médecin confirme ce que mon paternel désirait. J'aurais bien voulu être capable de me souvenir de ce jour-là, juste pour voir mon père être fier, fier de me voir entrer dans sa vie car il faut le dire… j'ai l'impression que c'est la seule chose dont il a toujours été fier. Celle d'avoir un fils. Durant mon enfance, je me rappelle avoir passé de longs après-midi avec lui, les photos sont là pour me rassurer et me dire que mon père passait du temps avec moi, cependant contrairement à ma mère, il n'a jamais montré de signe d'affection. C'était toujours elle qui me prenait dans ses bras, ce n'était jamais lui. Durant des années, j'ai passé mes soirées à côté de lui à regarder des matches de basketball ou encore de baseball. Jamais il ne m'a dit
«Regarde fiston, regarde ce lancer. Ce Michael Jordan est un monstre!» En fait, il ne m'a jamais appelé fiston et il avait ses raisons, des raisons que je n'ai qu'appris que bien trop tard, assez pour que ma relation avec lui soit rompue durant de nombreuses années.
Malgré tout mon enfance n'est pas aussi triste qu'elle y parait. Après tout j'étais entouré de deux autres personnes, de ma mère – Elsa – et de ma petite sœur Rose, deux piliers dans ma vie, car à chaque fois que je suis tombé, il y avait toujours l'une d'entre elles pour m'aider à me relever, peu importe que je sois en tort ou non, elles pensaient à me faire réagir et ensuite, à me remettre en cause. Pourtant je n'ai pas été l'enfant le plus facile, il faut dire que j'adorais emmerder ma sœur, c'était sûrement mon passe-temps favoris et même si elle s'en plaignait, je sais qu'elle appréciait… surtout lorsque la fille de la voisine débarquait chez nous, Rose la détestait et je passais mon après-midi à emmerder cette bourgeoise à la con. Ma mère m'en a passé des savons, mais ça n'y changeait rien, voir ma sœur être fière de moi, c'était un peu comme recevoir la fierté de mon père qui restait éloigné lorsque quelque chose me concernait. Il était proche de ma sœur, il lui portait plus d'attention que n'importe qui et moi, j'étais souvent en retrait. Ma mère était alors plus derrière moi, mais elle faisait attention à Rose, je me demande encore comment j'ai fait pour être aussi aveugle durant toutes ces années, mais d'un côté je me dis que c'était parce que je prenais mon père en exemple, que j'étais aveuglé par ce qu'il représentait pour moi. C'est un peu comme lorsque des pigeons tombent amoureux, ils sont aveugles au point de ne pas se rendre compte que leur petite-amie les fait cocu plusieurs fois par mois. C'était un peu ça pour moi, j'étais aveuglé par ce que représentait mon père.
«Jayden, tu les as entendus hier soir? Je veux dire, ils se sont disputés et pas qu'un peu. Tu crois qu'…» «Je crois que tu devrais arrêter de poser autant de questions. C'est une dispute Rose, rien de plus. Arrête voir de jouer les adolescentes chiantes qui n'arrêtent pas de parler.» Je n'avais jamais apprécié être dérangé durant mon petit-déjeuner et c'était pour ça que je plaçais souvent l'emballage de céréales devant moi afin de lire ce qu'il y avait d'écrit dessus. Ma sœur avait eu sa crise d'adolescence, elle n'avait pas fait de grosses conneries, mais elle avait accentuée sa curiosité à un niveau que c'en était devenu insupportable. Elle parlait sans cesse, tentait de formuler ses phrases comme notre père afin d'avoir un semblant de maturité. Cependant son inquiétude n'était pas innocente, moi aussi je m'étais inquiété de cette dispute, et encore plus lorsque j'étais monté à l'étage pour éviter d'être confronté à la parlote éternelle de ma sœur. Mais cet après-midi là, alors que mon père quittait la chambre à coucher, il me regarda
«Va voir ta mère, elle a sûrement besoin de toi» Je l'avais entendu appelé ma sœur afin de l'emmener à son cours de danse alors que moi, j'étais entré dans la chambre de mes parents où ma mère effaçait des larmes sur ses joues. A peine assis sur son lit qu'elle me prit dans ses bras, en s'excusant et me demandant pardon. Ce jour-là, je n'avais rien compris de ce qu'elle me disait, l'excuser de quoi? Lui pardonner quoi? Je m'étais contenté de lui dire que ce n'était pas grave, qu'elle n'avait pas à s'excuser ce qui la faisait davantage pleurer. Quelques mois plus tard, alors que l'on était notre salon, mon père avait éteint la télévision. Il jeta un regard à ma mère avant de se mettre à parler, regardant comme souvent Rose. Son regard ne se posait que rarement sur moi, et les seules fois, j'avais l'impression de lire de la tristesse dans ses yeux et je ne l'avais jamais compris, du moins jusqu'à mes vingt-deux ans.
«Les enfants, votre mère et moi, nous avons décidé de nous séparer.» La nouvelle ne m'avait pas immédiatement touchée, je n'étais pas vraiment surpris pour être sincère, cependant la réaction de ma sœur me fit réagir. Je l'avais sentie se serrer contre moi en se mettant à pleurer. Je m'étais contenté de lui frotter le dos pour qu'elle se calme. Le regard de ma mère était un peu perdu et j'attendais une explication ou du moins une raison. Les regardant tours à tours, ma mère prit la parole, la voix fragile.
«Votre père et moi, nous n'arrivons plus à voir les choses de la même façon. On est en désaccord sur beaucoup de choses et ça devient difficile pour nous de tenir une conversation. Et on pense à vous, ce n'est pas facile pour vous et ce sera sans doute mieux une fois divorcés» Les larmes de ma mère avaient coulé dans la seconde qui suivit. J'avais de la peine à y croire, pour moi ce n'était pas tout. Mon père me regardait, ma sœur et moi, il était silencieux, trop silencieux. Il était discret de nature, mais il parlait, cependant là il ne disait rien et il me cachait quelque chose. Lorsque le divorce fut annoncé, j'avais essayé de m'assurer qu'ils nous avaient tout dit. Ma mère n'avait rien dit et mon père s'était contenté de me dire que je devais partir avec ma mère et ma sœur. J'avais haï mon père ce jour-là, car il savait qu'ils n'avaient pas tout dit, il le savait et il ne me le disait. J'avais eu l'impression qu'il s'était débarrassé de moi, m'avait repoussé vers son ex-femme alors qu'il passait encore des minutes à enlacer ma sœur, lui adressant des sourires qu'il ne m'avait jamais offerts, ni même les paroles qu'il lui prononça.
«Rose m'a parlé de toi… Je crois que l'on va bien s'entendre» C'était les premiers mots qu'elle m'avait adressés. Elle? C'était Jules, la meilleure amie de ma sœur. On s'était rencontré quelques heures après mon arrivée dans ce lycée à Bora Bora où j'avais déménagé avec ma mère et ma sœur. Pour être franc, j'avais juste pensé à me la faire, après tout c'était dans mes habitudes et elle était loin d'être repoussante, bien au contraire. Une belle blonde qui avait tout pour faire craquer un mec, même moi. Seulement j'avais ma fierté et on avait commencé les choses normalement, je m'étais fait passer pour un ami, on passait du temps ensemble puis on flirtait. C'était rien de sérieux, du moins jusqu'à ce que l'on pousse les choses un peu plus loin et que nos agissements deviennent des besoins. J'avais mis quelques semaines avant de me rendre réellement compte de ce que je ressentais pour elle. Je draguais mais je pensais à elle, j'étais incapable de coucher avec une autre. C'est pas que je culpabilisais, mais parce que les autres ne m'intéressaient pas, ma seule tentation c'était Jules et son caractère bien trempé. Celle qui jouait parfaitement avec les mots pour me tenir tête, celle qui avait réussi à me faire baisser la garde assez bas pour que j'en sois touché et en tombe amoureux. Assez pour que le soir de ses dix-neuf ans, après avoir assurément bien fêté l'occasion, je lui demande de m'épouser. Bien sûr l'alcool avait parlé mais il y avait un peu plus d'une année de cela, je lui avais demandé de m'épouser, et elle m'avait dit oui. Lorsque je lui avais tendu cette bague, j'étais peut-être à moitié présent mais je l'avais voulu et les discussions qui s'en suivirent les jours suivants avaient confirmé mon envie… et la sienne aussi.
«Bon maintenant que tu veux bien m'épouser, on peut retourner au lit pour fêter ça» «… je suis fatiguée.» «… alors je vais tenter de faire vite» Finalement elle n'était pas fatiguée ce jour-là, elle n'était jamais fatiguée pour ce genre de choses et je le savais très bien. Tout comme je savais que ce mariage poserait problème à nos familles, mais d'un côté on se connaissait depuis assez longtemps, on sortait ensemble depuis assez longtemps aussi et je l'aimais, vraiment. Ma sœur était déjà partie à New York à l'époque, car il fallait savoir que mon père et ma mère s'étaient lancé dans une guerre juridique assez féroce concernant la garde de ma… sœur. Moi? Je n'y avais pas été mêlé, apparemment mon père n'avait réclamé que ma sœur et d'un côté, ce n'était pas plus mal. Il n'avait pas demandé après moi après toutes ces années, il avait même dit qu'il n'avait pas assez de temps à consacrer à Rose et à moi en un week-end lorsque l'on était censé repartir chez lui l'espace d'une semaine. Autant dire que mon père ne faisait plus partie de ma vie et que du coup, ma sœur était retournée à New York suite à la victoire de mon père, mais aussi du fait que ma sœur désirait prendre des études sur New York, sachant pertinemment que son papier serait meilleur. D'ailleurs j'avais pensé qu'à Bora Bora avec Jules, ce serait meilleur pour nous deux. En l'espace d'une année de mariage, tout avait bien été, bien sûr il y avait eu des crises et alors? C'était normal, non? Cependant ce qui le fut moins, fut mon erreur. Je m'étais disputé avec Jules pour une connerie pour changer et j'étais sorti dans un bar pour boire avec des potes. Ce soir-là, je me souviens avoir enchainé les verres et m'être réveillé dans le lit d'une blonde. J'avais pas eu besoin de dessin pour comprendre ce qu'il s'était passé et j'avais tenté de réfléchir à comment l'annoncer à Jules. En fait je n'étais pas certain de pouvoir lui le dire mais voilà, les femmes parlaient beaucoup et assez pour que ça arrive jusqu'aux oreilles de ma femme. Etrangement on ne s'était pas disputé ou du moins, j'étais resté calme.D'un côté je n'aurais pas pu m'énerver, car j'étais fautif et je n'avais aucune excuse, cependant lorsqu'elle me demanda de m'en aller, je compris que les choses étaient bien pire que je ne l'imaginais. J'avais essayé de calmer les choses pour que l'on s'explique mais elle voulait juste que je parte. Je n'avais pas insisté, d'ailleurs ça avait été mon erreur, c'est ce que je me dis aujourd'hui. Mais dans un sens elle m'avait demandé de partir, je lui avais dit que je l'aimais et… elle m'avait fait comprendre qu'apparemment, je l'aimais autant que de la tromper. La suite? J'ai pris peu d'affaires et j'ai pris un vol pour allez retrouver ma sœur à New York, sans réfléchir.
«Qu'est-ce que tu fais ici?» Elle me regardait étonné, me prenant dans ses bras tout en regardant ma valise, se hissant sur la pointe de ses pieds afin de regarder par-dessus mon épaule pour peut-être voir Jules.
«Je viens voir ma sœur quelques temps, ça se voit pas?» J'avais beau sourire, ma voix sonnait faux et le regard de Rose m'avait rapidement cerné.
«… et tu es venu tout seul?» «Elle a des examens… Et puis je voulais être seul avec toi.» Rose n'avait pas insisté et j'avais apprécié. Elle savait lorsque je voulais parler ou non et c'était l'une de ses qualités. Elle avait attendu plusieurs semaines avant d'entendre l'histoire, autant dire qu'elle m'avait rabaissé plus bas que terre pour ce que j'avais fait et je le comprenais. Mais elle m'avait ensuite épaulé, elle m'avait fait comprendre qu'elle était là et dans un sens, c'est aussi grâce à elle que j'avais eu la force de faire les démarches pour un divorce. Je n'avais jamais voulu mais d'un côté j'avais fui et les téléphones que ma sœur avait avec Jules n'étaient pas en ma faveur. Elle m'avait poussé à faire les démarches et j'avais signé ces fichus papiers pour ensuite les lui envoyer, mais jusqu'à aujourd'hui, je ne les avais toujours pas reçus. Malgré tout durant mon séjour chez ma sœur, ce ne fut pas l'unique soucis que j'eus, non… Après plus de cinq ans, j'étais retombé face à mon père. Il était passé un jour à l'improviste chez Rose et il m'avait trouvé à la cuisine, son regard s'était posé sur moi, toujours avec ce brin de tristesse. Il était resté silencieux, sans rien dire. J'avais souri, secouant la tête, dégoûté par ce qu'il m'avait fait, en me rejetant dans les bras de ma mère.
«Tu es autant discret que dans mes souvenirs à ce que je vois…» Cependant en reposant mon regard sur lui, je le vis toujours immobile, son regard toujours sur moi.
«… qu'est-ce qu'il y a papa?» Ce jour-là je ne l'oublierai pas, ce fut la première fois où je vis mon père pleurer pour la première fois et me prononcer des mots qui m'avaient glacé le sang.
«Tu lui ressembles tellement… à Matthew» Matthew? Je n'avais entendu ce prénom que peu de fois, je savais que c'était l'un de mes oncles qui était décédé dans un accident de voiture quelques semaines avant ma naissance. Et sur le coup, je n'avais pas compris pourquoi mon père m'avait dit ça.
«Matthew? Ton frère? Mais de quoi tu parles papa?» J'avoue que ça semble assez fou, mais il avait fallu que j'attende plisseurs mois avant que mon père ne s'exprime et que ma mère appuie ce qu'il m'avait dit. J'avais finalement appris pourquoi mon père ne m'avait jamais pris dans ses bras, qu'il n'avait jamais montré de l'affection pour celui que j'étais… car je n'étais pas son fils, mais celui de son frère. J'avais eu du mal à y croire. D'autant plus en apprenant que ma mère avait trompé mon père avec son frère. Les silences durant le divorce m'avaient sauté aux yeux et je prenais conscience de la vie de mon père. Je me rendais compte pourquoi il avait autant de mal à me regarder. Je m'en étais longuement voulu d'avoir été aussi dur avec lui une fois arrivé à Bora Bora, mais d'un côté il avait tout fait pour qu'il ne me manque pas. J'ai mis du temps à digérer la pilule et mon père et moi avons mis du temps à se retrouver. Puis on a parlé, je lui ai surtout parlé de ma vie à Bora Bora, de Jules, de mon mariage. Etrangement il était au courant de tout, Rose lui avait parlé de moi. Il avait aussi appris pour ce que j'avais fait et même si ça m'avait fait mal, il avait osé me sortir
«… tu tiens sûrement ça de ta mère» J'avais eu mal, mais j'avais rigolé. Cependant il m'avait aussi fait remarquer que si trois ans s'étaient écoulé, je n'avais pas réussi à oublier Jules. Je ne portais plus notre alliance, mais elle était accrochée au collier que je portais depuis mon adolescence. Je n'avais jamais reçu les papiers de divorce et dans un sens, je m'étais mis à penser à beaucoup de choses. J'avais terminé mes études à New York, j'avais été diplômé et… et si Jules attendait? Elle m'avait demandé de partir mais notre divorce n'a jamais eu lieu, je n'ai jamais vu sa signature sur ses fichus papiers et au final… je m'étais fait un scénario. Est-ce qu'elle m'attendait? J'allais être fixé dans peu de temps, dans quelques secondes même car je venais tout juste de frapper à sa porte et elle l'avait ouverte. Les mains enfoncées dans chacune de mes poches, mon regard posé sur le sien, je me contentai que d'une chose…
«Salut…»